Alzheimer, Infactus, Cancers... ATTENTION AUX BACTERIES BUCCALES
Revue SCIENCES et AVENIR n°874 Décembre 2019
Une influence délétère
En cas de perturbation du microbiote buccal, des bactéries pathogènes peuvent provoquer une carie, une gingivite ou une parodontite. Ces bactéries et des facteurs inflammatoires risquent alors de propager dans tout l'organisme.
Gare au déséquilibre du microbiote buccal
Les bactéries de la bouche vivent en symbiose avec notre organisme. Mais une mauvaise alimentation ou une défaillance de l'hygiène bucco-dentaire peuvent contribuer a l'apparition de certaines maladies, intestinales, cardio-vasculaires, pulmonaires et même cérébrales.
"Un bon microbiote buccal protège la santé orale et la santé en général !" C'est avec ce message clair que va s'ouvrir le congrès de l'Association dentaire française (ADF) ... La recherche médicale fait le lien - surprenant - entre microbiote buccal et des maladie du corps, y compris du cerveau. De quoi nous motiver à en prendre soin. Le chiffre donne le tournis : notre bouche abrite plusieurs milliards de bactéries formant le microbiote le plus abondant du corps humain après celui de l'intestin. Le plus diversifié aussi : ... Le Dr Vincent Meuric, chirurgien-dentiste et chercheur au pôle du CHU de Rennes (Ille-et-Vilaine) : "Ces bactéries sont soit commensales (protectrices), soit opportunistes, c'est-à-dire qu'elles peuvent devenir pathogènes en fonction des conditions de l'environnement". Lorsque le microbiote est à l'équilibre (ou eubiose), "l'ensemble des surfaces de la bouche étant colonisé par des bactéries commensales, il reste peur de place pour la fixation des agents pathogènes", détaille le Pr Marie-Laure Colombier, chirurgien-dentiste spécialisée en parodontologie à l'hôpital Louis-Mounier de Colombes (Hauts-de-Seine). "Mais cet équilibre peut être menacé par l'alimentation, le tabac, une antibiothérapie, une insuffisance d'hygiène bucco-dentaire ou le stress, poursuit-elle. Et la rupture de cet équilibre (dysbiose) entraîne la prolifération de bactéries opportunistes, susceptibles de provoquer des infections locales". Selon Vincent Meuric, l'exemple le plus courant est la consommation de sucre en dehors des repas. "Les bactéries opportunistes qui s'en nourrissent prolifèrent et produisent des composés acides qui attaquent l'émail, la couche externe, dure et minéralisée, qui recouvre la couronne dentaire, jusqu'à provoquer une carie."
Autre conséquence d'une dysbiose, la maladie "parodontale" déclenchée par une présence excessive bactérienne :"Elle peut être superficielle et réversible, ne touchant que la gencive : c'est la gingivite, précise Marie-Laure Colombier. Ou bien concerner le support de la dent et la menacer de déchaussement. On parle alors de "parodontite". Dans ce cas, alerte rouge dans tout l'organisme! "Les pathogènes buccaux et leurs produits peuvent rejoindre la circulation sanguine", poursuit la chirurgien-dentiste. Et en quelques minutes le coeur, les poumons, l'intestin ... Entre autres conséquences, selon une étude de l'équipe de Thomas Van Dyke, du Forsyth Institute publiée en 2015, souffrir d'une parodontite augmenterait chez un individu le risque d'athérosclérose, cause principale de l'infarctus du myocarde. Le Pr Masahira Hattori de l'université Waseda, au Japon, s'est interrogé, lui, sur le de venir des milliards de bactéries qu'on avale avec la saline à raison d'un litre et demi par jour! Dans une étude (Science, 2017) il démontre qu'une bactérie buccale, Klebsiella pneumoniae, peut, lorsqu'elle est ingérée, favoriser le développement de maladie inflammatoires de l'intestin (MICI) si le microbiote intestinal est lui-même déséquilibré. Au total, plusieurs associations ont été établies entre affections parodontales et des pathologies telles que le diabète, les infections pulmonaires, les maladies cardio-vasculaires, l'accouchement prématuré et en date, le maladies cérébrales. "Il n'est pas étonnant de trouver un lien entre maladies parodontales et cérébrales, note Marie-Laure Colombier. Les bactéries et leurs produits pouvant stimuler une neuro-inflammation existante."
Deux pathogènes aux effets délétères sur le cerveau
En 2019, l'université Rutgers aux Etats Unis a montré, chez 2700 personnes de plus de 60 ans, que celles(50 %) qui faisaient état de problèmes dentaires déploraient également un déclin cognitif. En 2011 déjà, l'université Columbia à New York (Etats-Unis) associait la présence d'un parodontite à celle de troubles de la mémoire chez 2355 personnes de plus de 60 ans. De plus, des études sur es modèles animaux de parodontites ont suggéré fortement que la bactérie pathogène bucco-dentaire Prophyromonas gingivalis ou ses produits étaient en cause dans des troubles de cerveau. E,n 2018, des scientifiques de l'université de l'Illinois à Chicago (Etats-Unis) ont alors déclenché une parodontite chronique chez dix souris en les exposant à Porphyromonas gingivalis. Puis, leurs cerveaux ont été comparés à ceux de dix souris témoins. Et là, stupeur ! Dans le groupe "parodontite" ont été observées les caractéristiques typiques de la maladie d'Alzheimer. Chez l'humain, selon une études du laboratoire pharmaceutique californien Cortexyme, l'examen post mortem de cerveaux de patients atteints d'Alzheimer aurait révélé la présence de "gingipaïnes", des enzymes nocives secrétées par Porphyromonas gingivalis. Et un inhibiteur de gingipaïne (élaboré par la firme) débarrasserait les souris malades de leurs symptômes. Des essais cliniques de phase II et III sont en cours. mais Porphyromonas gingivalis ne semble pas être seules coupable pour autant. Toujours en 2019, des chercheurs de l'université du Chili, à Santiago, ont démontré qu'un autre pathogène buccal, Aggregatibacter actinomycetemcomitans a également des effets délétères sur les cellules cérébrales, in vitro du moins. Si les agents pathogènes de la bouche menacent tant notre santé, comment s'en protéger ? Les bons gestes sont connus: "La prévention passe par une hygiène bucco-dentaire biquotidienne efficace et des contrôles annuels chez les chirurgiens -dentistes, assure la Pr Marie-Laure Colombier. Tout saignement gingival lors du brossage constitue un signe d'alerte, qui doit faire consulter." Quand au détartrage (élimination du tartre, plaque dentaire calcifiée) il doit être au moins annuel. L'équipe de Vincent Meuric travaille, elle,à un test de profilage du microbiote buccal. Une sorte de signature moléculaire de la santé de notre bouche, afin d'élaborer un futur traitement personnalisé.